Coût de la propreté urbaine : des écarts impressionnants entre les villes

Déc 16, 2020Savoir faire

Rares sont les villes qui connaissent les coûts de la gestion de leur propreté urbaine[1]. Tel était le constat du précédent article « Clean City Lab »[2], qui nous avait amené alors à identifier deux méthodes possibles pour évaluer ces coûts : une approche « top-down », qui part des comptes exhaustifs de la ville et identifie le périmètre de la propreté et l’autre « bottom-up », qui constate le coûts des moyens engagés sur le terrain.

Nous verrons dans ce nouvel article que, bien que différentes, les deux méthodes conduisent toutefois à un résultat convergent. Les coûts annuels de la propreté par habitant peuvent varier jusqu’à un rapport de un à quatre entre les différentes villes. Il y a donc un gisement conséquent pour optimiser les travaux de voirie, à condition de pouvoir en objectiver les coûts.

Pour les évaluer, les données les plus précises se trouvent dans les comptabilités publiques (approche « top-down »). Identifier les coûts de la propreté par cette méthode, comme c’est le cas pour la gestion des déchets, permettrait de fournir des informations exhaustives et sans effort supplémentaire. Nous avons proposé une méthode de standardisation, compatible avec les efforts d’harmonisation en cours en Suisse et en Europe et qui permettrait de comparer les villes entre elles. Nous allons présenter ici les coûts de la propreté de trois villes suisses calculés à partir des données comptables et du périmètre que nous avions proposé.

Dans les cas où les informations spécifiques sur les coûts de la propreté ne sont pas disponibles automatiquement au travers du système comptable de la ville, les équipes en charge de la propreté développent leurs propres outils. Les coûts du nettoiement, de l’entretien des corbeilles et du ramassage des déchets encombrants sont calculés en multipliant les moyens engagés par leur coûts horaires (approche « bottom-up »). C’est aussi l’approche qu’utilisent l’AVPU en France et OCU en Espagne pour comparer les villes entre elles.

L’approche bottom-up : une estimation portant sur les moyens engagés

L’AVPU (Association des Villes pour la Propreté Urbaine) regroupe les collectivités, en France et aussi en Europe, autour du thème de la propreté urbaine. Elle établit tous les deux ans depuis 2015 un référentiel de la propreté urbaine, à partir d’un questionnaire rempli par les responsables de voiries. Le dernier référentiel de 2019 se base sur les réponses fournies par 35 villes (14 de moins de 50’000 habitants, 13 de 50 à 150’000 et 8 de plus de 150’000 habitants). Pour la partie coûts, les répondants renseignent une seule valeur correspondant au montant global pour l’ensemble des activités de propreté urbaine. En moyenne, les coûts de la propreté sont de 56 € par habitant et par année[3]. Pour l’ensemble des villes, ils varient de 23 à 100 € par habitant et par année. L’étude de 2017 a par ailleurs permis d’établir que 82% des coûts étaient attribuables à la masse salariale, 11% aux frais de fonctionnement et 7% à l’amortissement du matériel. Le personnel représente l’essentiel des coûts. Une partie de la variabilité de 2019 peut donc être expliquée par ce facteur, puisque le nombre d’agents engagés pour 100’000 habitants varie de 500 à 1’800 selon les villes.

Le sondage de 2017 avait été fait en parallèle par l’association des communes VKU avec les villes allemandes[4], qui avait abouti à une moyenne de 27 € par habitant et par année. Ces chiffres sont néanmoins à prendre avec prudence, car les résultats montrent d’énormes disparités sur le nombre d’agents par habitant (il y a un facteur 26 entre les extrêmes), avec une valeur moyenne trois fois plus faible qu’en France (1 agent pour 3’363 habitants en moyenne en Allemagne contre 1’003 en France).

En Espagne, l’association des consommateurs OCU fait aussi des comparaisons tous les quatre ans sur la propreté des villes et les coûts de nettoiement[5],[6]. Les coûts varient de 32 à 106 € par habitant et par année entre les villes, avec une moyenne de 54 €. OCU sonde en même temps les habitants sur leur perception du niveau de propreté de leur ville. Il est intéressant de noter que d’après ces données, le niveau de propreté n’est pas du tout corrélé aux coûts. Ceci démontre que, contrairement à une idée qui semble répandue, il ne suffit pas d’augmenter les ressources de nettoiement pour obtenir une ville propre.

Selon Hervé Guillaume, secrétaire général de l’AVPU : « on voit que le sujet des coûts de la propreté interpelle à chaque fois. De nombreux responsables n’ont pas accès aux données comme les coûts horaires des agents ». Or, l’approche « bottom-up » requiert ces données de base, ainsi que celles des coûts horaires des machines. La connaissance détaillée des coûts horaires des véhicules est le domaine d’expertise d’Hymexia, société qui conseille les collectivités en Suisse sur la gestion de leur flotte. Cette société a établi des statistiques sur les coûts horaires des petites balayeuses (hors personnel), dont la structure est la suivante :

Tableau 1 : coûts horaires de balayeuses en euros (données © Hymexia)
Les frais d’investissement représentent la moitié du coût horaire (hors coûts de personnel), ce qui est élevé et plaide pour une utilisation intensive de ces moyens. Toujours selon les mêmes données, la durée d’exploitation varie, pour les extrêmes, de 220 à 1’500 heures par année, avec une moyenne de 800 heures. La durée de vie pour un taux d’utilisation optimal est de soit de 6’000 à 7’000 heures, soit de 7 à 8 ans. Les frais d’entretien à la fin de cette période sont en moyenne trois fois plus élevés qu’au début, puis ils prennent l’ascenseur et les machines sont souvent indisponibles pour cause de pannes ou d’entretien. Selon Aurélien Gogniat, directeur d’Hymexia : « toutes les mesures qui permettent d’améliorer l’efficience des moyens engagés ont alors une grande répercussion sur les coûts horaires ».

L’approche top-down : une évaluation portant sur les moyens alloués

Dans notre précédent article2, nous avons proposé une méthode d’harmonisation des comptabilités publiques permettant de comparer les coûts de la propreté urbaine. Nous avons collaboré avec deux villes suisses d’environ 150’000 habitants et plus, ainsi qu’avec M. Florian Rouland, étudiant en économie d’entreprise au sein de la HEIG-VD[8], afin d’analyser leur comptabilité respective de manière détaillée, puis de retraiter les comptes selon le référentiel proposé. Son étude a permis d’une part de valider la méthode proposée (et de confirmer les difficultés d’analyse des comptabilités pour déterminer les coûts de la propreté) et d’autre part, de fournir des résultats fiables selon une approche maîtrisée.

Cette analyse a confirmé que les pratiques étaient différentes entre ces deux villes. Par exemple, l’une d’elles a choisi, comme critère d’affectation des coûts, le type de surface, dure ou noire versus molle ou verte. Dans son cas, les frais de propreté des parcs et de l’entretien du tour des arbres dans les rues sont attribués aux espaces verts. D’autres choix de critères sont opérés par les villes pour délimiter le périmètre entre leurs différentes prestations, comme par exemple les processus et les métiers, voire même l’organigramme de l’administration. Ce sont en général des critères internes à la ville, qui ne sont pas perçus par les usagers (un passant sera concerné par la saleté autour d’un arbre, pas par le service qui doit le nettoyer). De plus, les définitions varient d’une ville à l’autre, et résultent parfois de choix historiques. Dans l’approche que nous avons proposée, nous avons favorisé la perception « visible » de l’usager. En l’occurrence, les coûts de propreté des surfaces vertes sont attribués à la voirie, même si les tâches sont effectuées par les espaces verts.

Le cloisonnement des comptes, leur niveau de détail et les groupements par grands comptes, les refacturations entre services et les crédits spéciaux ont représentés des difficultés supplémentaires pour allouer les dépenses spécifiques à chaque activité. Les marges d’erreurs des retraitements des comptabilités des villes vers le modèle proposé sont de l’ordre de 10%. Les montants ont été convertis avec un taux de 1,1 franc suisse pour 1 euro.

Tableau 2 : Coûts de la propreté des deux villes suisses analysées en francs suisses (CHF)

Ces résultats peuvent être comparés de manière fiable avec ceux de Zurich[9], étant donné que cette ville utilise un périmètre équivalent (en particulier sur la prise en compte de l’hivernage et des espaces verts). Les coûts de la propreté y sont 2,5 à 3,1 fois moins élevés. Le nombre d’habitants par employé de voirie pour les villes A et B est assez proche de la moyenne française, alors que la ville de Zurich peut servir deux fois plus d’habitants avec son personnel. A noter aussi que la voirie de Zurich réalise des prestations pour des tiers, comme le canton, les parkings et les surfaces des entreprises privées, ce qui permet de refacturer 28% de ses coûts sous forme de prestations.

De grandes différences de coûts de la propreté entre les villes

Par un sondage portant sur 35 villes françaises, l’AVPU évalue les coûts de la propreté urbaine à 56 € par habitant et par année. Une analyse à partir des comptabilités détaillées de trois villes suisses arrive à une moyenne de 89 € par habitant et par année. Une recherche plus poussée devrait être menée pour déterminer dans quelle mesure la différence entre ces résultats provient de la méthode et du périmètre pris en compte ou de coûts réels plus élevés, liés par exemple au niveau salarial en Suisse.

Il est en revanche très intéressant de relever que les coûts de deux des villes suisses sont 2,5 à 3 fois plus élevés que ceux de la ville de Zurich, et que dans ce cas les résultats sont entièrement comparables, car obtenus à partir de la comptabilité des villes pour un périmètre identique.

Pourtant, la ville de Zurich a les niveaux de salaires les plus élevés de Suisse. Il est donc possible d’avoir une ville propre et des conditions de travail attractives pour les employés, moyennant une gestion efficiente des ressources.

Cet écart d’un facteur quatre sur l’échelle des coûts par habitant se retrouve pour tous les pays considérés, quelle que soit la méthode utilisée. Cet écart représente plusieurs millions ou dizaines de millions d’euros selon la taille de la ville. Les causes en sont souvent attribuées à la pression sur l’espace urbain, la propension à salir pouvant dépendre du nombre d’usagers non-résidents (pendulaires, touristes), aux comportements, à la culture ou à d’autres facteurs pour lesquels la ville n’a pas la maîtrise. Certes, certains facteurs externes sont hors du périmètre d’action des voiries. Toutefois, ce point de vue ne rend pas justice aux voiries performantes, qui se dotent d’outils de pilotage afin de maîtriser la propreté et les coûts.

Dans notre article sur la gestion de la propreté urbaine[10], nous avions relevé la complexité des tâches de la voirie, qui doit gérer les investissements, la prévention et le nettoiement dans une pression budgétaire constante (son budget n’augmentant pas avec la croissance de la population ni l’utilisation plus intensive des centres urbains). Comment est-il possible de gérer cette complexité sans des indicateurs objectifs et quantifiés ?

Nous sommes d’avis que l’utilisation efficiente des ressources sont des leviers d’actions bien plus importants permettant de maîtriser les coûts et la propreté. Pour preuve, dans notre comparaison des villes suisses, la ville de Zurich qui a introduit il y a plus de 20 ans la mesure du niveau de propreté pour piloter la qualité de ses prestations. Elle figure régulièrement parmi les villes les plus propres d’Europe, avec les taux de satisfaction les plus élevés dans les sondages sur la qualité de vie. C’est à notre connaissance aussi la seule voirie qui dispose naturellement des informations comptables pertinentes en relation avec la propreté.

Ce qui ne se mesure pas, ne s’améliore pas. Le niveau de propreté a un réel impact sur la qualité de vie des usagers de la ville, ainsi que sur la préservation de son environnement. Les coûts de la propreté représentent un poste important dans le budget des villes. Intégrer les informations comptables et les indicateurs de performance de propreté et d’impact environnemental nous paraissent alors un pas incontournable vers une ville attractive et durable. Une fois ces indicateurs établis, il devient possible de s’inspirer des méthodes d’optimisation des villes les plus performantes et d’observer les économies réalisées à chaque itération. C’est ce que nous vous présenterons lors d’un prochain article Clean City Lab.

[1] A l’inverse du coût de la gestion des déchets, qui est régie par le principe du pollueur – payeur, pour lequel la détermination de la taxe requiert d’en déterminer les coûts

[2] https://www.cortexia.ch/combien-coute-la-proprete-de-votre-ville/

[3] http://avpu.fr/wp-content/uploads/2019/12/2-Présentation-référentiel-2019-AVPU.pdf

[4] http://avpu.fr/wp-content/uploads/2018/09/Des-enseignement-du-questionnaire-partagé-W.SCHROTER.pdf

[5] https://www.ocu.org/organizacion/prensa/notas-de-prensa/2019/limpiezaciudades250419

[6] http://avpu.fr/wp-content/uploads/2018/09/paisajelimpio2017.pdf

[7] Les montants initiaux en CHF ont été convertis en euros avec un taux de 1,1 CHF pour 1 euro

[8] Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud

[9] http://avpu.fr/wp-content/uploads/2019/12/5-Zurich.pdf

[10] https://www.cortexia.ch/ville-propre/